mardi 3 avril 2012

Internet en procès en France

Ces dernières semaines, Internet est sous le feu des critiques acerbes de plusieurs hommes politiques et intellectuels français, après une série de scandales et de polémiques dans lesquels la toile mondiale a joué un rôle majeur, mais manifestement peu apprécié par ceux que le « Nouvel Observateur » de cette semaine appelle les procureurs du Web. La virulence des propos qu’ils tiennent étonne autant qu’elle intrigue. Extraits : Internet est «un danger pour la démocratie» pour Jean François Copé, Président du groupe parlementaire du parti majoritaire à l’assemblée, «un début de totalitarisme» pour Henri Guaino, Conseiller du Président, «une poubelle de la démocratie» pour Alain Finkielkraut, philosophe, «la plus grande saloperie jamais inventée» pour Jacques Séguéla, ex Conseiller en communication du Président Mitterrand.


Le fait que ces propos viennent, pour l’essentiel, des élites intellectuelles et des hommes de pouvoir est évidement inquiétant (annoncent t-ils des lois de censure ?), mais, en même temps, aiguille les observateurs médusés comme moi vers leurs motivations profondes. Constatons que dans les polémiques qui suscitent aujourd’hui ce déferlement, Internet aura avant tout joué la fonction classique d’un média en portant à la connaissance du public (avec la puissance et la rapidité de diffusion qui sont désormais la sienne grâce aux réseaux sociaux comme Facebook et Twitter) des informations qui, il faut le souligner, ont été au départ ignorées par les médias traditionnels (télévision, radio, presse) : volontairement ou non ? C’est précisément sur cette question que se situent les enjeux de ce débat.

On a assisté au cours de ces dernières années à une mise sous tutelle et sous contrôle des médias traditionnels, soit de manière institutionnalisée, ouverte et clairement assumée comme en Chine, soit de manière plus subtile, à travers des leviers financiers (prise de contrôle de grands groupes de presse et audiovisuels par des puissances financières liées aux hommes politiques, en général de droite ou conservateurs) dans les grandes démocraties occidentales. L’émergence d’Internet comme média, de plus en plus puissant de part sa vitesse, sa pénétration sociale, et les formes d’appropriation développées par de simples citoyens, met à mal les efforts et stratégies de contrôle, voire de manipulation de la sphère publique, que des hommes politiques, groupes de pression et puissances financières ont réussi à asseoir avec la télévision et la presse, dans des formes qui constituent aujourd’hui un moyen de conquête et d’exercice du pouvoir. Pour des raisons techniques liées à son architecture (raisons que je présente dans cet article écrit pour une communication à un colloque), Internet, en l’état actuel des technologies, ne peut pas subir un contrôle comparable à celui des autres médias : car il ne s’agit pas en réalité d’un média unique et centralisé qui est logé quelque part avec ses rédacteurs en chef et directeur de publication, que l’on pourrait « débrancher » au gré des contrariétés qu’il fait subir à quelque personne haut placé ; il s’agit d’une multitude (par dizaine de milliers) de canaux d’information qui sont entre les mains de simples individus (à travers leurs blogs, leurs pages Facebook, Myspace ou Twitter). De cette réalité naît, chez les puissants, un sentiment d’impuissance, qui leur est insupportable et entretient cette fébrilité : avec Internet, ils ne peuvent pas définir une ligne éditoriale conforme à leurs objectifs et à leurs intérêts, et si nécessaire, taper sur le rédacteur en chef, renvoyer le directeur de publication ou le Président de la chaîne.

Comprenons nous bien. Il ne s’agit nullement pour moi d’absoudre le web de ses risques et dérives. Mais la véhémence des propos tenus par certaines élites françaises est largement injuste et disproportionnée. On voit d’ailleurs à ce niveau un double discours, qui trahit une certaine hypocrisie : d’un côté on exalte Internet en louant le rôle de Twitter et de You tube lors de la crise politique en Iran (on se rappelle par exemple que le gouvernement américain est intervenu pour demander aux responsables de Twitter de déprogrammer une opération de maintenance de leur réseau, afin de permettre aux opposants de continuer à diffuser les images de la répression), de l’autre côté Internet devient un « danger pour la démocratie » lorsqu’il permet d’étaler au grand jour un scandale impliquant le fils du président français. La manipulation, la désinformation, la diffamation, les atteintes aux mœurs ne ne (sic) commencent pas avec le web. Ces dérives, sans qu’on s’en réjouissent évidement, sont consubstantielles à l’essor de tous les médias. On a vu des chaînes de télévision et de radio appeler au génocide, distiller des propagandes idéologiques et des rhétoriques guerrières ; des journaux écrits portent chaque jour atteinte à la vie privée des individus. Le fait que même dans les pays développés, l’on ait mis en place des instances de régulation de ces médias montre qu’ils sont potentiellement porteurs de dérapages. Mais comment parler de totalitarisme, de danger pour la démocratie pour un média qui remet l’espace public centre les mains de citoyens ? N’est pas cela l’essence et l’idéal de la démocratie envisagée par les grecs ? Quid de la possibilité d’un meilleur accès à l’espace public qu’il offre aux leaders d’opinion ou à de simples citoyens vivant dans les régimes totalitaires.

Une digression pour finir. Ce débat me rappelle celui qui a eu lieu en France dans les années 1990, au début de l’essor d’Internet. De nombreux intellectuels, politiques et hommes de culture n’hésiteraient pas alors à exhumer le dogme de l’exception culturelle française pour exiger le développement du Minitel à la place d’Internet. N’eût été la clairvoyance du gouvernement de M. Jospin peut être la France serait encore au Minitel. De quoi penser en définitive que Internet est mal aimé de certaines élites françaises.

Source
François Ossama

On peut rajouter ça comme aveux très et trop révélateur de la part d'un ultramondialiste
Jay Rockefeller: Internet should have never existed

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